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jeudi 17 février 2011

J’ai pensé … au Maghreb : et si la démocratie était un leurre ?

La foule en liesse réunie sur la place Tahrir, symbole de la révolution, salue enfin le départ de Moubarak. Quelques jours plus tôt, c’était Ben Ali qui faisait les frais, en Tunisie, de la colère populaire. Depuis, la grogne, jusqu’alors sous-jacente dans les autres pays arabes, devient de plus en plus audible, faisant vaciller sur leurs bases des dictatures (pourtant bien installées. L’Algérie, le Yémen, Bahrein et même la Lybie connaissent actuellement leurs premières manifestations enflammées. Ca y est la démocratie est en marche et le Maghreb va connaître bientôt les joies de la démocratie…
Partout, à la télévision et dans la presse écrite, les spécialistes et commentateurs politiques s’affolent, alternant hymnes à la liberté et protestations virulentes contre les dictateurs, oubliant d’ailleurs, pour certains, leurs manques de prise de position sur ce sujet avant que les hostilités ne commencent. Liberté chérie enfin retrouvée… Qui pourrait ne pas s’en réjouir ? Pas même moi qui pourtant reste on ne peut plus circonspect. Pourquoi ?
- Il n'est pas certain que la démocratie va s’installer durablement : l’Histoire regorge d’épisodes démocratiques ayant tourné au cauchemar. La révolution de 1789, louée de tous, avait, en quelques années, débouché sur l’avènement de Napoléon. Il y eut ensuite deux autres républiques avant que la démocratie ne s’installe définitivement. Certains ne manqueront pas de me signaler qu’il s’agit là d’histoire ancienne. Je leur rappellerai comment, dans d’autres pays, plus récemment, la démocratie est dévoyée au profit d’une caste ou d’un homme : Poutine en Russie pour ne citer que le plus connu. Election ne signifie d’ailleurs pas démocratie, quand les opposants et les médias sont bâillonnés. Les exemples pullulent et force est de constater que les constitutions les plus respectueuses des droits de l’homme n’empêcheront jamais l’installation de dictatures. La démocratie est un mode de gouvernement qui s’apprend, se construit et l’exemple des pays africains qui, lors de la décolonisation, ont copié nos modèles, est là pour nous le rappeler.
- Il est faux de croire que c’est l’aspiration démocratique qui a conduit au soulèvement des peuples : ce sont d’abord les difficultés économiques qui ont poussé les peuples à se rebeller. Je ne dis pas qu’il n’y avait aucune revendication touchant aux libertés individuelles mais elles étaient marginales, portées par les élites, comme ce sont les bourgeois, qui se voyaient refuser le droit à être nobles, qui ont poussé le 1/3 Etat à prendre La Bastille. Les peuples s’accommodent souvent parfaitement des dictateurs pourvu qu’ils parviennent à les nourrir, à leur faire grimper l’échelle sociale et à galvaniser leurs égos. Si les gouvernements qui vont se mettre en place désormais ne parviennent pas à atteindre ces objectifs, ils sont perdus d’avance et nombreux seront alors les nostalgiques des anciens régimes. Comme le sont par exemple les nostalgiques du communisme dans les ex-pays de l’Est certes aujourd’hui libres mais privés d’avantages que ne leur offrent plus aujourd’hui l’économie capitaliste (droit au travail, au logement, aux transports,…). Les pays du Maghreb dont beaucoup vivent du tourisme (en berne depuis les évènements et peut-être pour longtemps) ou du soutien financier de l’Occident vont-ils être capables de relever ce défi ? Pas sûr !
- Il est naïf de penser que ce sont des démocrates qui vont prendre les rênes. Les élites qui vont prendre la main ne seront pas des petites gens mais des personnes déjà influentes et souvent impliquées, au moins indirectement, dans la gestion du pays. Croyez-vous vraiment que les réseaux de pouvoir, constitués pendant des décennies, vont d’un coup de baguette magique démocratique, disparaître ou laisser la place. Croyez-vous vraiment que l’opposition, atone ou clandestine, va pouvoir trouver sa place et faire entendre sa voix ? Et de quelle opposition parle-t-on d’ailleurs ? Méfions-nous d’elle qui, derrière une critique de la dictature en place, cache peut-être des desseins de domination sans partage.

Qui sommes-nous d’ailleurs pour juger de la démocratisation ? Croyons-nous vraiment vivre en démocratie ? Avons-nous d’ailleurs un réel choix de nos gouvernements ? Le capitalisme est aujourd’hui seul maître à bord et les règles du commerce international et de la financiarisation réduisent à peau de chagrin les choix des politiques qui, derrière leurs vitupérations et leurs promesses de lendemain qui chantent, savent qu’ils sont pieds et poings liés. Ce qui explique d’ailleurs la désaffection dans les urnes et la poussée des extrêmes. La démocratie est un leurre tout comme l’est la révolution. Elle n’amène qu’un changement des élites qui nous gouvernent, comme l’explique le sociologue et économiste Vilfredo Pareto. Ne nous réjouissons donc pas de vivre dans une démocratie comme si elle représentait la panacée. Elle connaît aussi ses déboires. Ce que l’on appelle corruption dans les pays en voie de développement est appelé chez nous « trafic d’influence ou prise illégale d’intérêt ». Et ce que nous appelons caste là-bas est appelé chez nous ENA, les élus de bord différents se retrouvant fréquemment autour d'un verre en privé après s'être étripés en public. Le modèle occidental est évidemment plus vivable qu’ailleurs mais loin d’être le meilleur, il est surtout le moins mauvais. Restons donc sur nos gardes, ne croyons pas que la démocratie est un acquis inaliénable et prions pour le Maghreb et les peuples opprimés.

Rédigé par Fred H.

3 commentaires:

  1. Bonjour.
    Très bon article. La démocratie est-elle un leurre, ou bien une imposture, je ne suis aussi posé la question.
    J'aime votre blog, j'y apprends des choses.
    Votre regard sur le monde est quelque part partagé ici.
    Merci. Je continuerai à vous lire.

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  2. Oui, très bon article car il offre du recul, de la perspective, avec une analyse historique argumentée. Je me suis permis d'insérer un lien vers votre article sur mon blog La Lettre du Lundi (http://lalettredulundi.fr)

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  3. Merci pour vos encouragements.
    je me suis également permis de mettre un lien de votre site sur mon blog.

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