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vendredi 25 février 2011

La distribution de l’énergie en France : un des derniers bastions publics risque de tomber !

Depuis quelques jours, Direct Energie lance dans le métro parisien une nouvelle campagne de communication à destination du grand public. Ou comment convaincre des habitants encore frileux à quitter EDF et GDF les deux opérateurs historiques du secteur de l’énergie. Les arguments sont, il est, vrai, alléchants : aucune intervention technique, peu de procédures administratives, des tarifs plus avantageux, une énergie plus respectueuse de l’environnement et, depuis peu, la possibilité de revenir au tarif réglementé facilement. La question se pose néanmoins. Que se cache-t-il derrière ces atouts indéniables ? Il me semble important, d’abord, de revenir sur l’évolution historique du sujet.



Les services publics, on le sait, subissent depuis quelques années, de multiples attaques. La réduction des effectifs et des dépenses des collectivités locales sont notamment l’objet de vifs débats politiques et sociétaux où défenseurs de l’Etat Providence (thèse défendue par les économistes keynésiens et promue à la suite du krach de 1929) et libéraux partisans du non interventionnisme étatique se déchirent fréquemment. Pas un trimestre ne s’écoule sans que personnels hospitaliers, profs ou agents territoriaux ne manifestent leur mécontentement face à la suppression de postes, l’affaissement des budgets ou la dégradation des conditions de travail. Mais il est un sujet éminemment moins sujet à dissensions, ou en tous cas moins médiatisé, qui mérite pourtant d’être analysé : le passage du public au privé de services d’intérêt général. C’est ainsi, en effet, sous l’impulsion de l’Union Européenne notamment (mais notez bien que le mouvement général de notre modèle ultralibéral va dans ce sens, Europe ou non), que des entreprises autrefois publiques comme la Poste ou France Telecom ont été (ou sont en passe de l’être) privatisées ou que la distribution de l’eau est désormais fréquemment gérée par de grands groupes industriels capitalistiques, Veolia en étant la tête d’affiche.
A priori, sur ces questions, peu de nos concitoyens semblent effrayés. Les promesses d’ouverture du capital de ces sociétés sans privatisation totale mais surtout les baisses de prix pour les consommateurs, générés par la mise en concurrence, ont tôt fait de rassurer l’habitant lambda, attentif avant tout à son compte en banque.

Et il est vrai qu’apparemment, sur le papier, la libéralisation semble porter ses fruits. Mais à y regarder de plus près, est-ce vraiment le cas ?
Le cas du téléphone est particulièrement éclairant. Les prix ont certes baissé mais les services associés se sont particulièrement dégradés. Plus de « 12 » accessible gratuitement, plus d’intervention d’opérateurs téléphoniques gratuitement en cas de problème technique et des services après-vente délocalisés dans des pays à faible coût de main d’œuvre, soit autant d’emplois en moins et donc de rentrées d’argent pour l’Etat. Sans oublier que le coût de la téléphonie mobile reste encore aujourd’hui deux fois plus important qu’aux Etats-Unis : comme quoi les récents scandales autour des ententes entre opérateurs pour ne pas se livrer de guerre de prix ne seraient pas encore totalement abscons. Autre exemple : la Poste devenue Banque Postale. Tout le monde aura remarqué les files d’attente plus longues aux guichets et le moindre intérêt désormais porté au courrier. On parle désormais de suppression d’agences peu rentables mais pourtant tellement importantes dans les zones rurales. Il vous faudra bientôt peut-être aller poster votre courrier via un commerce de proximité. Un comble : une entreprise créée initialement pour distribuer du courrier et qui finalement devient une banque « comme les autres » déléguant son service de courrier à des entreprises privées… Quant au service de l’eau, l’heure de la privatisation, sous forme d’appels d’offre, semble bel et bien sur la voie de garage, tant la liste des communes désireuses de revenir au principe des régies municipales s’allonge.

Cette privatisation de services de première nécessité pose en fait de graves questions quant à leur accessibilité et leur pérennité.
-          L’accessibilité tout d’abord : en libéralisant ces marchés, on affirme qu’il s’agit là de produits comme les autres et par conséquent de produits devant dégager des marges. Dans un secteur comme le transport, les effets peuvent être dévastateurs. La SNCF, aujourd’hui, (et dieu sait que je ne défends pas toutes leurs grèves), affiche de belles rentabilités sur les grandes lignes TGV dont les gains permettent de couvrir les pertes sur les petites lignes peu rentables (notons d’ailleurs que les Conseils Régionaux sont nombreux à subventionner les TER desservant de petites villes afin de conserver un réseau dense indispensable, à l’heure du développement durable, pour désengorger les routes). Mais demain, avec l’ouverture du marché du rail à la concurrence, quel avenir se profile ? Croyez-vous que Deutsche Bahn, pour ne citer qu’elle, viendra proposer ses services sur ces « petites lignes » ? Elle viendra casser les prix sur les lignes rentables et obligera la SNCF à s’aligner, ce qui réduira d’autant ses capacités à assurer ses services ailleurs. Dans le domaine de la téléphonie, essayez par exemple de faire ouvrir une ligne téléphonique dans un endroit non désservi. Vous constaterez que cela est devenu très coûteux.
-          Ceci pose la question de la pérennité. Une entreprise aura intérêt à maximiser son gain sans chercher forcément à entretenir et développer la qualité des infrastructures. Elle cherchera d’ailleurs à minimiser ses coûts d’exploitation (à savoir la location des réseaux gérés par des entreprises aujourd’hui très peu connues, telles que Réseau Ferré de France, réseau de Transport d’Electricité,…) et qu’il sera facile, pour les pouvoirs publics, de ne pas subventionner en cas de défaillance. Un petit détour outre-Atlantique démontre même parfois l’absurdité d’un système basé sur la concurrence et le profit à outrance. Les blocks outs y sont fréquents et souvent mal gérés.

Pour en revenir à Direct Energie, il faut savoir que les politiques agressives des opérateurs privés d’énergie sont aujourd’hui rendues nécessaires en raison du faible taux de réussite de ces derniers à conquérir de nouveaux clients, EDF conservant environ 95% du marché notamment, au grand dam de l’Europe qui souhaite davantage de mise en concurrence. La décision politique de permettre aux citoyens qui le souhaitent de revenir au tarif réglementé va dans ce cens. Mais force est de constater que les choses ne sont pas aussi aisées et qu’il demeure un grand flou sur les conditions de retour. Notamment la principale : seront-elles pérennes ? Autrement dit, quand la majorité des consommateurs sera passée aux tarifs privés, ne risque-t-on pas de suspendre ce droit de revenir au tarif réglementé. Et dès lors, qu’est-ce qui empêchera ces opérateurs privés de réévaluer leurs tarifs ? On peut d’ailleurs se demander si les lourdes augmentations successives que connaissent depuis quelques années les tarifs réglementés ne sont pas en partie une stratégie pour écœurer les particuliers de conserver ces tarifs et de les encourager à changer d’opérateur.

Alors que la libéralisation économique démontre toutes ses limites, il semble au contraire primordial de lutter pour que la gestion des services et produits de première nécessité demeure aux mains de l’Etat.

Rédigé par Fred H.

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